CHAPITRE 18

J’ouvris les yeux. Je regardai droit au-dessus de ma tête. J’étais allongée sur le dos. Au-dessus de moi s’étendait l’océan. Très haut, des poissons scintillants sillonnaient les eaux. Encore plus haut, je distinguais la barrière étincelante séparant la mer et le ciel. Mais elle était très loin.

Je roulai la tête sur le côté. Jake était près de moi, toujours inconscient. J’avais de l’herbe bleue sous la tête. Je regardai de l’autre côté.

— Aaaahh !

< Ne bouge pas. Je t’ai assommée pour examiner ce que tu es. Si tu bouges, je te détruirai. >

Il se tenait sur ses quatre fins sabots, semblable, au premier regard, à un daim ou à une antilope bleu clair et brun.

Mais il avait un torse puissant, comme un centaure de la mythologie, avec deux petits bras et des mains pleines de doigts. Son visage était presque triangulaire, construit autour de deux yeux immenses et en amande. Il y avait une petite fente verticale là où aurait dû se trouver son nez, et rien du tout à l’emplacement où il aurait dû avoir une bouche.

Sur le dessus de sa tête se dressaient deux cornes. Sauf que ce n’étaient pas des cornes. Chacune se terminait par un œil et pouvait se bouger de tous les côtés, indépendamment de ses yeux principaux.

Il avait l’air doux, curieux, presque fragile. Jusqu’au moment où l’on remarquait sa queue. Une queue comme celle d’un scorpion. Elle était épaisse, puissante et terminée par une méchante lame scintillante, affilée comme un rasoir. Je savais à quel peuple il appartenait. Il est difficile de ne pas reconnaître un Andalite quand on en voit un.

Et il n’y avait pas non plus à se méprendre sur ce qu’il tenait à la main. Ça ressemblait beaucoup à un lance-rayons Dracon. Il le tenait braqué sur moi.

Les autres étaient en train de se réveiller.

— Qu’est-ce que… Oh ! s’écria Marco. Dites-moi que c’est un vrai Andalite et pas Vysserk Trois.

Brusquement, sans avertissement, l’Andalite rabattit sa queue en un rapide mouvement circulaire, et la lame s’immobilisa à quelques centimètres du visage de Marco.

< Vysserk Trois ! Ne prononce pas ce nom ! >

— D’ac… cord, dit lentement Marco. Tout ce que tu voudras.

— Nous sommes amis, annonçai-je.

< Je ne vous connais pas >, me répondit l’Andalite.

Mais il écarta sa queue et Marco se remit à respirer.

— Tu m’as appelée, repris-je. Nous sommes venus t’aider.

< Appelée ? Tu as entendu mon appel ? >

Il me fixa de ses quatre yeux.

< Qui es-tu ? >

— Un humain. Une personne de la Terre.

< J’ai vu des images de ton espèce. Mon appel s’adressait à mes cousins. Comment l’as-tu entendu ? >

— Je ne sais pas, avouai-je. Je l’ai entendu en rêve. Et un ami à moi aussi. Nous avons deviné qu’il venait d’un Andalite. Nous voulions vous aider.

< Que sais-tu des Andalites ? Mon peuple n’est pas connu des humains. Vous ne voyagez pas dans les étoiles. Vous ne connaissez que votre planète. Ce sont mes cousins aînés qui me l’ont dit. >

— Nous avons connu un Andalite. Nous étions avec lui quand… quand il a été tué.

L’Andalite plissa ses yeux principaux.

< Qui était cet Andalite ? >

Je fouillai dans ma mémoire à la recherche de son nom. Il nous l’avait dit, mais c’était un nom bizarre et long.

— Je ne me rappelle pas son nom en entier. Mais une partie était prince Elfangor.

L’Andalite sursauta comme s’il avait reçu un coup. Son corps tout entier parut secoué. Sa queue mortelle s’arqua en hauteur.

< Prince Elfangor ? Personne ne peut tuer Elfangor. C’est le plus grand guerrier qui ait jamais existé. Personne ne peut le tuer ! >

— Quelqu’un l’a fait, confirma Jake. Nous étions là.

< Qui ? Qui, d’après toi, aurait tué Elfangor ? >

— Celui dont tu ne veux pas que nous prononcions le nom, continuai-je doucement.

L’Andalite garda la tête haute, mais sa queue s’affaissa et retomba au sol. Il baissa son arme.

< C’était mon frère. Est-ce que… Est-il mort de belle manière ? Au combat ? >

Ce fut Jake qui répondit :

— Il est mort en nous protégeant, et il a défié les Yirks jusqu’au bout. Jusqu’au dernier moment, il s’est battu avec toutes les armes qu’il avait.

L’Andalite ferma ses yeux principaux un bref instant.

< Mon frère était un grand guerrier. Ses cousins l’aimaient. Ses ennemis avaient peur de lui. Plus que d’aucun autre guerrier andalite. >

Je fus surprise par ce que dit alors Jake :

— Moi aussi, j’ai perdu un frère. Il est devenu l’un d’eux. Un Contrôleur.

L’Andalite rouvrit les yeux.

< Et toi humain… Est-ce que tu sers les Yirks ou tu les combats ? >

— Je les combats. Nous les combattons.

< Avec quelles armes ? Avez-vous des armes puissantes ? >

— Seulement l’arme que nous a donnée ton frère, expliquai-je. Le pouvoir de morphoser.

< Elfangor vous a donné ce pouvoir ? Ça ne se fait jamais ! >

Il semblait perturbé.

< La situation doit être très grave pour qu’il vous ait donné la capacité de morphoser. >

— Elle est pire que tu ne le penses, insista Marco. Les Yirks semblent savoir que tu es là. Il y a un morceau de vaisseau andalite qui a échoué sur la plage. En ce moment même, ils sont à la surface.

Pour la première fois, l’Andalite parut hésitant.

< Quel est votre plan ? >

— Te faire sortir d’ici et te cacher, répondis-je.

< Vous êtes venus ici pour me sauver ? C’est vrai ? >

Il sourit avec les yeux, exactement comme avait fait prince Elfangor.

< Vous devez être fatigués après cette dernière animorphe. Vous avez besoin de repos. >

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Rachel. Ce dôme, je veux dire. On dirait un parc.

< C’est la partie principale d’un vaisseau-dôme andalite. C’est là que nous vivons. Les moteurs et la passerelle de commandement se trouvent dans une structure longitudinale située en dessous et ce dôme est perché dessus. >

— Comme un champignon, suggérai-je. Ou un parapluie.

L’Andalite eut l’air dérouté.

— Ça ne fait rien, ajoutai-je.

< Pendant la grande bataille, alors que nous étions en orbite au-dessus de votre planète, il a été décidé de séparer le dôme du reste du vaisseau. >

— Pourquoi ?

L’Andalite se mit à gratter l’herbe de son sabot avant.

< Je… J’étais trop jeune pour combattre, selon les lois de notre peuple. Et en plus, le reste du navire est plus facile à manœuvrer sans le dôme. >

— Tu es un enfant ? Je veux dire, une personne jeune ? demanda Marco.

< Oui. >

— Es-tu seul ? Le seul Andalite qui soit ici ?

< Oui. Je suis seul. Quand le vaisseau Amiral est brusquement apparu, il nous a pris par surprise. J’ai vu la section principale brûler. Des rayons Dracon endommagèrent la stabilisation orbitale du dôme. Il est tombé. Il est tombé dans l’océan et a coulé jusqu’au fond. Je suis ici depuis toutes ces semaines, à espérer que mes cousins viennent me chercher. À espérer qu’il y en ait, des survivants. Pour finir, j’ai pris le risque d’envoyer un appel en ondes-miroir. Ça marche par… >

Il s’interrompit, l’air embarrassé.

< Je ne suis pas censé expliquer la technologie andalite. Mon frère me… Il aurait été très fâché contre moi. >

— Tu es le seul à avoir survécu, lui annonçai-je tristement.

< Rien que moi. Pas de prince ni de guerriers. >

Je sentis une boule se former au creux de mon ventre. Je crois que ce fut pareil pour les autres. Nous avions tous, me semble-t-il, plus ou moins espéré que cet Andalite serait comme le prince. Un chef. Quelqu’un qui puisse prendre en mains le commandement du combat. Quelqu’un qui en sache plus que nous.

— Nous aussi, nous sommes jeunes, dis-je. Trop jeunes pour combattre, selon les lois de notre peuple.

< Pourtant vous combattez ! >

— Nous avons l’impression que nous n’avons pas le choix. Écoute, nous ne savons même pas comment tu t’appelles. Voici Jake, Rachel et Marco. Je suis Cassie. Et il y en a un autre, il s’appelle Tobias.

< Je suis Aximili-Esgarrouth-lsthil. >

Nous sommes tous restés bouche bée.

— Ax, fit alors Marco. Enchanté de faire ta connaissance.

< Qui est votre prince ? >

Tour à tour, nous avons tous regardé Jake.

— Oh, laissez-moi tranquille, protesta ce dernier. Je ne suis le prince de personne.

Mais l’Andalite s’était avancé. Il courba la tête et baissa la queue.

< Je combattrai pour toi, prince Jake, jusqu’à ce que je puisse retourner auprès de mes cousins. >